Celui que vous emporterez sur une île déserte…

C’est le texte que j’ai le plus offert, recommandé et probablement lu. Pendant cinq ans, alors qu’il parcourt l’Europe, Rilke répond aux interrogations créatrices et existentielles d’un jeune poète qui n’est pas resté dans l’histoire. Jeune officier en apprentissage à l’école militaire de l’empire austro-hongrois, Frantz Xaver Kappus (ça ne s’invente pas) hésite en effet à quitter l’armée pour se consacrer à la poésie. Il soumet ses vers à Rilke qui, malgré ses 27 ans, a déjà une aura certaine. Rilke relit un peu, critique rarement mais le plus souvent renvoie Kappus à lui même, à ses envies, à qui il est profondément.

Je n’aurais pas parié que l’attrait de ces Lettres à un jeune poète survivrait à mes névroses de khâgneuse et pourtant… Je le parcours, entre deux chapitres, entre deux livres et durant mes nuits d’insomnie (non pas parce que ça endort!). En arrivant à Séoul, je me suis surprise à rechercher sa compagnie, comme celle d’un vieil ami sur lequel on peut compter.  Dans ce nouvel environnement, il me fallait tout reconstruire. Et bien que très heureuse d’avoir suivi M., je ne m’étais pas préparée à une vie solitaire. De banquière hyperactive, sollicitée et très entourée, je me suis retrouvée “desperate housewife” en devenir, incomprise (les coréens ne parlent pas l’anglais) et devalorisée (je ne suis pas vraiment ce qui se fait de mieux sur le marché du travail coréen), bref sur le point de devenir au mieux la cynique de service, au pire une dépressive accomplie. En relisant Rilke, je n’ai pas eu une illumination. Mais plus de cent ans après, la lettre du 14 mai qui souligne combien la solitude est indispensable à la construction et à l’amour de soi, sonne toujours aussi juste.  Et disons que la lecture de ces lettres m’a permis de donner un peu de sens, presque un cadre à ma solitude. Je ne suis pas sûre non plus que Kappus y ait trouvé les réponses qu’il attendait. Ses interrogations sur la qualité de ses écrits sont d’ailleurs restés lettre morte. Plutôt qu’une solution ou un jugement définitif, Rilke propose un parcours initiatique de l’accomplissement de soi.

Vous l’aurez compris, Lettres à un jeune poète est mon manuel de vie, celui qu’on ouvre quand on ne sait plus. Rilke avec cette écriture claire et accomplie, propose une véritable nourritures spirituelle et fait la joie de ceux qui, comme moi, peinent à dépasser la page cinq des self-help guides. Sans condescendance, sans mièvrerie aucune, il amène doucement mais fermement à se reconsidérer soi même. Vous y trouverez j’espère un de ces livre-companions qui rejoint ou mieux commence une bibliothèque idéale.

RILKE Rainer Maria, Lettres à un jeune poète, 1937, Grasset, Paris.

Il est maintenant disponible gratuitement en ligne. Mais essayez de lire la traduction faite par Grasset en 1937, de très loin la meilleure.

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1 Response to Celui que vous emporterez sur une île déserte…

  1. Alban's avatar Alban says:

    Quelqu’un me l’a aussi offert un jour ou j’etais a la recherche d’un “eclairage”…

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