Les livres sont souvent victimes de ces catégories rigides qu’on leur assigne. Littérature jeunesse, pour jeunes adultes, pour enfants, pour femmes, pour femmes attendant un enfant… Ces étiquettes influencent considérablement nos choix de lecture. Sauf si… Sauf si vous avez eu la chance d’avoir une mère un peu aventureuse, ayant bien compris qu’à 10 ans vos préoccupations allaient déjà bien au-delà des Quatre Filles du Docteur March, et qui fut heureuse de vous glisser discrètement une copie de Jane Eyre ou d’Orgueil et Préjugés. Sauf si vous avez poursuivi des études de Littérature où des enseignants tyranniques se sont chargés de détruire toutes vos frontières littéraires. Sauf si vous avez épousé quelqu’un d’assez brillant pour vous convertir à un nouveau genre…
Mon bien-aimé M… a toujours eu une affection inconditionnelle pour Tolkien et Le Seigneur des Anneaux . Ce truc – visualisez ici un unique sourcil levé de mépris non dissimulé – n’a jamais été ma tasse de thé. Qui pouvait bien passer des heures sur des histoires de nains, d’elfes et autres créatures peu attrayantes au nom imprononçable. Des… Hobbits? Vraiment? J’avais 12 ans et seule la vraie littérature trouvait grâce à mes yeux. Bien loin de moi l’idée que l’œuvre de Tolkien ait influencé 50 ans de littérature américaine, ni qu’elle soit enseignée à l’université au même titre que Shakespeare.
Pour les non initiés: Depuis son royaume de Mordor, Sauron, magicien diabolique et malfaisant envahit peu à peu la Terre du Milieu. Diffusant le désespoir et la peur, il soumet peu à peu l’Humanité. La source de son pouvoir est un anneau magique, jusqu’à présent soigneusement caché dans la Comté, pays où les Hobbits, créatures minuscules aux grandes oreilles et aux pieds velus vivent en paix. Alors que Sauron tente de retrouver l’anneau, les forces du bien encore vaillantes -Elfes, Nains, Hommes et Hobbits- se retrouvent autour du magicien Gandalf le Gris, pour un conseil de guerre… Regroupés en une Communauté, ils décident de joindre leurs forces pour aider Frodo, un silencieux Hobbit, et son compagnon Sam, à atteindre Mordor pour y détruire l’anneau. Alors que les Hobbits progressent lentement vers le territoire de Sauron, la Terre du Milieu se prépare à une ultime bataille…
Le Seigneur des Anneaux est habituellement vendu à la section littérature jeunesse pour garçons. Ce qui est à mon humble avis est une (grossière) erreur. D’aucuns pensent que le manque de personnages féminins justifie ce classement. Jusqu’à preuve du contraire l’Odyssée d’Homère n’est pas particulièrement étoffée en héroïnes et pourtant personne ne l’a désignée comme telle! Je concède que les personnages féminins du Seigneur des Anneaux peuvent sembler rares, mais uniquement face à la multitude de personnages masculins. Galadriel la Reine elfe, Eowyn Princesse de Rohan… elles sont toutes inspirantes, courageuses, prêtes à aimer, loin des rôles stéréotypés dans lesquels les personnages féminins sont parfois cantonnés.
L’œuvre de Tolkien est un conte à l’univers unique (un point capital en ce qui me concerne – voir le poste sur Twilight). J’y ai tout aimé, de l’histoire millénaire de la Terre du Milieu à l’amitié sans faille de Sam, ami et serviteur de Frodo. J’ai rêvé de rencontrer Aragorn, de chevaucher avec les cavaliers de Rohan, de goûter une bouchée de pain elfique et de combattre devant la porte de Mordor dans une tentative désespérée de détourner l’attention de Sauron. Réunissant hommes et créatures enchantées dans une même destinée, magie, simples instincts de survie et amitiés improbables, Le Seigneur des Anneaux est en un mot (mais aussi trois tomes et plus de 10 romans assimilés) une véritable odyssée moderne. Un spectaculaire morceau de littérature où vous ne pouvez que vous interroger: Qu’est-ce que j’aurais fait si j’avais été là, si le Désespoir semblait avoir pris le dessus, si j’avais su qu’il n’y aurait pas de voyage retour…
En parcourant les pages du chef d’oeuvre de Tolkien, j’ai vécu les mêmes moments de joie, de tristesse et de déception que M… J’ai ouvert la porte à des heures de débat, signé pour un marathon annuel des films de la trilogie, et enfin compris quelques références subtiles.
Revue minutieuse des critiques littéraires, bon marketing des maison d’édition (oui j’achète des livres parce que je trouve la couverture attrayante!) mais surtout longues discussions animées nourrissent aujourd’hui ma liste de livres à lire. Mes choix ne sont plus dictés par des obligations scolaires ou par un prétendu niveau de sérieux. Lire est devenu un acte de partage, presque un acte d’amour. Je suis les recommandations de mes proches, quelques soient mes préjugés initiaux, parce que je leur fais confiance. Chaque lecture en commun est une nouvelle étape dans mes amitiés, un lien supplémentaire où la littérature tient lieu de langage – une sorte de conversation silencieuse, un moyen d’accéder à l’esprit des gens qu’on aime, de partager un moment ensemble. Et certes, je me retrouve parfois à lire des romans où le pénible le dispute au gore. Mais j’ai aussi de très belles surprises. Dites-moi ce que vous lisez, je ne vous dirais pas qui vous êtes… Mais je lirai sûrement le livre…
TOLKIEN J.R.R., Le Seigneur des Anneaux, 1972, Christian Bourgeois, Paris.