J’ai souvent l’étrange impression de m’être trompée de siècle. J’aurais aimé connaître ce temps où le savoir avait encore un corps… Corps des bancs du lycée ou de l’université, corps du professeur, de l’intellectuel ou de l’érudit qu’il faut aller voir pour connaître ses thèses, corps de ces romans, de ces encyclopédies qui pèsent entre les mains… Un moment où le savoir n’était pas facilement accessible, à portée de main, mais nécessitait un effort: courir à la bibliothèque, frapper à une porte, déplacer des livres; mais aussi et surtout un contact humain. J’envie cette autre temporalité, plus lente, plus sensible (au sens de perceptible) où l’on avait les jours voire les mois nécessaires pour comprendre une lecture… Je jalouse enfin cette atmosphère propice aux idéalistes, aux utopistes; on leur laissait la place, on rêvait de tout changer et on tentait…
Le dernier roman d’Anne Wiazemsky, Une Année studieuse, nous ramène par la petite porte à cet autre temps… Anne, petite fille de Francois Mauriac (Et fille de Claire dont elle a raconté l’histoire dans Mon enfant de Berlin*) révise la session de septembre du baccalauréat auquel elle vient d’échouer. Elle écrit une lettre au cinéaste Jean-Luc Godard qu’elle a très brièvement rencontré un an plus tôt sur le tournage d’un film. C’est le point de départ de leur histoire d’amour. Vingt ans de plus qu’elle, cinéaste radical, engagé à gauche il détonne dans l’environnement familial très traditionnel, et historiquement à droite d’Anne…Elle découvre la sensualité mais aussi la jalousie maladive de Godard, la philosophie engagée, les bancs de l’Université de Nanterre, ses étudiants politisés, qu’on verra bientôt aux premières loges des manifestations de Mai 1968…
J’aurai aimé vivre cette Année studieuse… Pas tant pour cet apprentissage de l’amour que pour connaître ce Paris de la fin des années soixante et ces intellectuels accessibles. Ce petit roman d’apprentissage nous emmène dans un Paris en pleine ébullition artistique et politique. Et ce n’est pas tant la fluidité de l’écriture d’Anne Wiazemsky qui interpelle que cette capacité à reproduire la singularité de l’époque, ses échanges intellectuels vifs mais dans le respect total de l’autre – l’unique conversation de Francois Mauriac et de Jean-Luc Godard est à cet égard un modèle du genre. Wiazemsky nous fait revivre cette parenthèse creative, cet intellectualisme qui affleure partout, où la lecture est un moyen de mieux connaître l’autre, où s’offrir des livres est un langage et le prolongement de discussions passionnées, où l’on donne un élément de sa bibliothèque comme on donne une partie de soi. Où l’on n’existe pas sans avoir (beaucoup) lu…
Terriblement parisien, véritable invitation à la table du passé, Une année studieuse propose quelques heures de littérature dans une carte postale en noir et blanc. J’espère que vous aimerez autant que moi ces moments nostalgiques dans un paysage intellectuel qui n’existe plus… Une autre époque, dépassée, lointaine, mais rétrospectivement d’une désuétude exquise.
WIAZEMSKY Anne, Une année studieuse, 2012, Gallimard, Paris.
*WIAZEMSKY Anne, Mon enfant de Berlin, 2009, Gallimard, Paris.
J’ai beaucoup aime tes commentaires sur une année studieuse Bravo cela donne envi de le lire Je pense que tui devrais rajouter dans tes mails la liste des livres que tui as déjà commenter A tres bientôt Papa
Je rêve! Papa qui me précède dans les commentaires! Aurait-il lu le livre en cachette? parce que moi, je n’en connais que ce j’ai lu dans la presse! oui, un vent de liberté soufflait et balayait sur son passages toutes les conventions des familles traditionnelles qui avaient mis tant d’années à se construire et à paraître! Je me laisserai surement tenter par cette histoire…