Exercice d’écriture

Cher Monsieur Cyrulnik,

J’aurais aimé commencer cette lettre par Cher Boris, comme si je faisais partie de votre vie, comme si je comptais déjà. Pas tellement pour discuter de votre dernier livre. Bien plus pour avoir l’occasion de vous écouter et bénéficier de votre présence rationnelle et rassurante, de vos mots toujours pesés et soigneusement choisis, de votre compréhension profonde de l’âme. Succomber à cette aura sereine qui vous caractérise, copier votre calme acceptation des  faiblesses de l’esprit humain, mais aussi votre conviction des capacités de résilience qui habitent notre cerveau.

Je suis tombée sur vos écrits pour la première fois il y a dix ans vers 5 heures du matin, dans un taxi qui traversait les rues silencieuses de Paris. Je n’avais pas envie de parler, mais le conducteur était d’humeur bavarde. Propriétaire d’une galerie d’art contemporain le jour,  conduisant son taxi la nuit pour financer sa passion. Tout à coup, j’ai tendu l’oreille… il me parla de sa vie, de son enfance difficile, ou plutôt de son absence d’enfance et de ce qui l’avait conduit à devenir cet adulte aux nombreuses facettes.  Et comme je commençais à me demander comment il avait surmonté ses traumatismes d’enfant,  il a ouvert la boîte à gants au-dessus du siège passager. Un coin rempli de livres écrits par un seul et unique auteur: vous. Il a ensuite dit un mot: résilience, puis griffonné quelques titres sur un morceau de papier. Je suis rentrée chez moi inspirée et intriguée …

Pour autant que je me souvienne, j’ai toujours lu des récits de survivants. Primo Levi, Germaine Tillon, Aaron Applefeld, Robert Antelme, la littérature de l’Holocauste (parfois dite concentrationnaire mais c’est à mon sens trop réducteur) est  un élément constant de mon paysage littéraire. Je me suis toujours demandée pourquoi. Peut-être une obligation viscérale de comprendre, pour être attentives aux signes précurseurs de l’horreur, pour pouvoir agir si cela devait se reproduire. Et puis, j’ai trouvé une autre explication. J’étais à la recherche d’un plan, une recette pour survivre au pire. Mais plus je lisais et moins j’étais convaincue d’avoir le courage ou les ressources psychologiques pour mûrir et mettre derrière moi les quelques épreuves que j’avais traversées petite,  encore moins  pour faire face  à celles qui m’attendaient dans ma vie d’adulte…

Jusqu’à ce que je lise votre conception de la  résilience. Neuropsychiatre, grand écrivain, orphelin très tôt, vous avez passé votre vie à travailler sur les stratégies d’adaptation du cerveau. Vous avez publié de nombreuses études puis plus tard, des livres destinés à un public plus large. Si je devais citer un titre, ce serait votre dernière publication: Sauve-toi, la vie t’appelle. Où pour la première fois vous expliquez les chemins tortueux de la mémoire à travers  le prisme de votre propre traumatisme. Né en 1937, vous expliquez comment votre seconde naissance eut lieu en 1944, le jour de votre arrestation. Jusque tard dans votre vie d’adulte, vous avez craint et réprimé le souvenir de cette journée. Et pourtant il ne vous a pas quitté, orientant vos choix de vie, conditionnant votre comportement, vos relations aux autres, jusqu’aux mots que vous utilisiez. Dans cette (en)quête de vérité, vérification minutieuse des éléments de votre enfance dans la guerre et après, vous disséquez vos souvenirs. Vous présentez  les mécanismes de votre traumatisme, sa construction, les superpositions et confusions de la mémoire, toutes ces manœuvres qui vous ont permis de grandir, de choisir la médecine malgré les difficultés et d’éviter de se rappeler. Jusqu’à ce que vous ne puissiez plus faire autrement….

Chacun de vos livres m’a rassurée. Le cerveau humain, mon cerveau, était digne de confiance. Soudain, mes propres comportements avaient une explication. Ni étranges, ni bizarres, ni compliqués, juste des manifestations des aléas de ma mémoire, de ma stratégie d’évolution. A ma toute petite échelle, j’étais déjà et aussi un survivant. Vos écrits ont limité mes craintes et amélioré le peu de confiance que j’avais en moi. Il reste du chemin, mais ils m’ont m’ont rendu moins inquiète de l’avenir, moins craintive et peut-être un peu plus forte…

Merci Monsieur Cyrulnik, je vous dois beaucoup,

Cordialement

Capucine

CYRULNIK Boris, Sauve-toi, la vie t’appelle, 2012, Editions Odile Jacob, Paris

A l’origine de ce post est un exercice d’écriture initié par mon amie E. afin de me sortir de l’ornière littéraire dans laquelle je m’étais fourvoyée. Merci!

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2 Responses to Exercice d’écriture

  1. maman's avatar maman says:

    Très touchée par ce post écrit sous forme de lettre! Ta flamme ne donne pas seulement envie de découvrir ce livre mais me convainc de le lire! Merci

  2. Félicia's avatar Félicia says:

    Eh Bien ! Ma Capu… j’avais déjà entendu parlé de ton blog, mais là, je t’avoue je suis scotchée…sincèrement, amicalement, chaleureusement… quelques part de l’autre côté de la planète… filouss

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